Xynthia : Tous les experts sur le pont !
Retour sur la tempête survenue les 27 et 28 février 2010.par Renaud Alberny
Forte dépression, plus haute mer, plus fort coefficient de marée... Durant la nuit du 28 février 2010, la tempête Xynthia a provoqué une surcote d'1m50 qui a submergé une partie du littoral de Vendée et de Charente-Maritime. Face à un sinistre sans précédent en France métropolitaine, les experts d'assurance déclenchaient aussitôt une mobilisation exceptionnelle.
« À 3 h et demi du matin, raconte Mr F., il y avait une marée de 102. Le vent soufflait à 130 ou 150 kilomètres à l'heure. Quand on s'est réveillé avec mon épouse, il y avait 10 à 15 centimètres d'eau dans la chambre. On se précipite à l'étage. J'ouvre la fenêtre et je vois une nouvelle vague passer par dessus la digue. Il y avait 3 mètres d'eau partout dans le lotissement. Heureusement qu'on avait un étage. Le monsieur d'à côté a 77 ans. Avec sa femme et sa fille, ils sont restés agrippés à un comptoir dans leur cuisine, trois heures dans l'eau. Ce sont des pompiers qui les ont sortis sur un bateau ». Six semaines après avoir été frappé par Xynthia, Mr F. est encore sous le choc. Des voisins ont perdu la vie. Le lotissement est une désolation totale, une image de tristesse absolue. L'eau semble avoir balayé toute vie, laissant derrière elle des habitations dévastées, une croûte boueuse et une végétation brûlée par le sel. Nous sommes à la Faute-sur-Mer, le 12 avril 2010, en pleine "zone de solidarité". Mr F. qui avait quitté la région parisienne pour venir passer sa retraite en Vendée, murmure : « On était si bien ici. C'était super. Derrière, il y avait un chemin avec des tamaris. C'était magnifique comme coin. Maintenant, il faut repartir de zéro ». Plus tard, après avoir rassuré Me et Mr F. sur le prompt remboursement de leur mobilier, après avoir quitté ce qui fut leur domicile, Richard de Swarte, (Eurexo) parle d'expérience. « L'écoute est la première aide que nous avons apportée aux sinistrés. Encore plus que d'habitude car, ici, les gens ont frôlé la mort. J'étais là trois jours après l'événement. Il y avait de la boue partout, même sur les meubles. Toutes les personnes que j'ai rencontrées avaient d'abord besoin de parler de ce qu'elles avaient vécu. Elles étaient hébétées. On ne pouvait pas aborder directement l'évaluation des dommages. On était vraiment dans le traumatisme ». Un traumatisme puissance cent, puissance mille eu égard au nombre de personnes touchées. Toute une région a été affectée, commerces, industries, conchyliculture, collectivités... Rien n'a été épargné. Mais les particuliers ont été les plus nombreux à être frappés. Tous répétaient peu ou prou la même histoire, le même drame, le même désarroi et l'expert devait prendre le temps d'écouter chacun. Famille après famille, pavillon après pavillon, la charge de stress devint rapidement des plus pesantes. « Nous avons eu une grosse pression psychologique sur les épaules, confie Didier Bossard, (Polyexpert). Les collaborateurs rentraient fatigués du terrain. L'atmosphère était lourde, très lourde. Dans certaines maisons, il y avait eu des morts. Ce n'était pas évident à supporter, surtout pour les plus jeunes d'entre nous ». Ainsi, une fois Xynthia passée, les experts d'assurance se retrouvèrent donc parmi les premiers à devoir éponger les océans de malheur laissés par l'inondation.
Se mobiliser
« On se devait d'être solidaires avec les sinistrés », résume sobrement Richard de Swarte. Cette solidarité s'est tout d'abord manifestée à travers la mobilisation rapide de la profession. Dès le samedi, alertés par les bulletins de Météo France, de nombreux experts d'assurance savaient qu'une forte tempête allait frapper. Comme les assureurs, ils s'attendaient à devoir faire face à des dommages liés au vent. Toutefois, certains anticipaient déjà la particularité de la tempête. « Dès le samedi, après le bulletin d'alerte de Météo France, je me suis mis en contact avec Thierry Jean, notre Responsable Région Aquitaine, témoigne Emmanuel Villette (Adenes/Elex). Compte tenu du coefficient de marée couplé à la dépression, il était prévisible qu'il y avait des risques de graves inondations ». Néanmoins, la plupart n'a découvert la nature et l'ampleur exacte de la catastrophe, qu'au fil de la journée de dimanche, par l'intermédiaire des médias. Ainsi, habitant Niort, Dominique David (Texa) se trouvait en bonne place pour voir la tempête arriver. « À minuit, le 27 février, je rentrais chez moi. Le vent commençait à souffler et, chose très curieuse, il faisait 15°C. Le lendemain, en écoutant mon auto-radio, car mon domicile n'avait plus d'électricité, j'ai appris qu'il y avait eu submersion de la côte, des dizaines de morts et de disparus ». Rapidement, il ne fait plus aucun doute qu'une catastrophe majeure vient d'avoir lieu sur le littoral de Vendée et de Charente-Maritime. Déjà, les cabinets d'experts sont contactés par les compagnies d'assurance. Le nombre de sinistres est estimé extrêmement élevé. Il devient vite clair que seuls les cabinets de la région n'auront pas les moyens humains de faire face. Il leur faut des renforts. Tandis que chaque groupement d’Experts s'organise et met en action des cellules d'urgence, certains se portent volontaires pour aller sur place. « Lorsque j'ai vu l'ampleur de Xynthia, j'ai été directement voir mon supérieur pour lui proposer mon aide là-bas, affirme ainsi Olivier Huet (Polyexpert). Dans ces cas là, on sait très bien que les experts locaux n'ont pas assez de bras ».
Les premiers renforts arrivent à La Rochelle dès le lundi. Le lendemain, alors que l'eau achève à peine d'évacuer, les experts sont sur zone. Bientôt, ils seront 320 : 140 accourus de toute la région. 180 venus de toute la France, y compris d'outre-mer. « À La Rochelle, durant la semaine et le week-end qui ont suivi, il y avait des experts à tous les coins de rue, dit en souriant Dominique David. Nous aurions pu tenir une Assemblée Générale de la profession ». On imagine parfaitement les problèmes d'organisation que les cabinets des différents groupements ont eu à gérer devant cet afflux soudain : la centralisation des dossiers, leur répartition, l'organisation des tournées de chacun, l'accueil et la "mise dans le bain" des nouveaux arrivants... sans compter les difficultés logistiques rencontrées dans un lieu également envahi par les médias. « Il n'était pas facile de trouver des logements pour tous les experts, rapporte Luc Vandeputte (Texa). C'était aussi très compliqué pour les véhicules puisque, ayant eu les leurs noyés, de très nombreux habitants se sont tournés vers les loueurs ». Mobilisés, organisés, pourvus d'une chambre, d'une voiture et de piles conséquentes de dossiers à traiter, les experts d'assurances s'apprêtaient à passer des jours et des jours sur le terrain. « Nous ne faisons pas un métier de tout repos. C'est clair, affirme Olivier Huet. Mais, j'aime bien les situations comme ça où on travaille sous pression. On est obligé d'agir. On ne peut se contenter d'attendre. Ça me convient ».
Agir
« Nous étions dans une situation inédite, rappelle Dominique David. Une inondation d'eau de mer, avec le caractère agressif que cela induit. À cela, s'ajoutait la particularité d'avoir un grand nombre de sinistres totaux. Nous étions devant un cumul de fréquence et de gravité, tout à fait inhabituel ». Dans ce contexte techniquement difficile, une donnée d'importance venait cadrer le travail des experts. « Relativement peu d'assureurs couvrent les inondations. Nous sommes généralement sur des bases de garanties catastrophe naturelle dans lesquelles il est précisé que sont uniquement assurés les dommages directs, indique Luc Vandeputte. Dès lors, toute la problématique était de faire le distinguo entre dommages directs et indirects, alors qu'entre les deux existe une certaine zone de flou ». Comme si Xynthia ne se montrait pas assez complexe, l'inscription d'une partie du littoral en "zone de solidarité" est venue recouvrir le dossier d'un flot d'annonces contradictoires, suscitant l'incompréhension, l'angoisse et les passions de la population concernée, entraînant des incertitudes quant au règlement final du sinistre et des situations conflictuelles potentielles, dans certains quartiers. Arrivant sur le terrain, trois jours après le passage de la tempête, les experts se retrouvèrent en première ligne à gérer une situation, par bien des aspects, inconnue. Pas question d'attendre que les choses s'éclaircissent – on y serait encore – pour avancer. Passé le réconfort apporté aux assurés, passés les conseils et les explications d'usage, les experts lançaient aussitôt les premières mesures de sauvetage. « J'envoyais des entreprises de nettoyage et d'assèchement, mais toutes ont été très vite débordées, explique Richard de Swarte. Et puis on s'est vite rendu compte qu'assécher, quand il y a eu 2 mètres d'eau pendant plusieurs jours, ne valait pas forcément le coup ». Au-delà, les problèmes et les interrogations techniques n'ont pas tardé à se poser, à commencer par ceux induits par la salinité de l'eau. « Que va-t-il se passer au niveau des matériaux ? Tout ce qui est métallique, depuis la quincaillerie des menuiseries, jusqu'au chauffage par le sol, a été touché par la corrosion », résume Richard de Swarte.
« L'eau salée entraîne une corrosion très rapide et nécessite un nettoyage urgent des installations, sans qu'à terme, nous n'ayons des garanties de sauvetage, notamment sur les équipements électriques », complète Emmanuel Villette. S'il était clair que d'une manière générale, chez les particuliers, l'ensemble du mobilier était irrécupérable et que le second œuvre était pour l'essentiel à refaire, l'état du gros œuvre n'était pas aussi évident. « On ne pouvait voir tout de suite s'il y avait des possibilités de restauration ou la nécessité de démolir, note Richard de Swarte. Curieusement, nous nous trouvons un peu dans le même cas de figure que dans les dossiers de sécheresse. Les terrains sont fait de sables et d'argile. L'inondation puis l'essorage ont fait bouger les sols. Les fondations se retrouvent en porte-à-faux. Au bout de quelques semaines, des fissures apparaissent sur les façades ». En attendant de savoir si une éventuelle reconstruction serait non seulement nécessaire mais encore autorisée, les experts se sont d'abord concentrés sur les dommages mobiliers, afin que des acomptes puissent être versés au plus vite. Hors "zone de solidarité", c'est ensuite l'estimation de la remise en état du bâtiment qui a été menée. Dans la "zone de solidarité", c'est sur la valeur vénale des biens que les experts se sont penchés, afin de fournir aux assureurs la base sur laquelle ils appuieront leur indemnisation, le jour où l'administration indiquera clairement ce qui peut être reconstruit et ce qui ne doit pas l'être.
Encore agir
Si les particuliers constituent la majeure partie des sinistrés de Xynthia, les professionnels n'ont pas été épargnés, loin de là. Pour autant, ils ne semblent pas avoir connu le même abattement, le même découragement.
« Bien sûr, les gens étaient choqués, mais les commerçants que j'ai vus, étaient animés de la volonté de tourner la page le plus vite possible, relate Olivier Huet. Lorsque je suis arrivé, ils avaient déjà nettoyé, déjà pris les premières mesures ». Et pour cause, les commerces de la zone sont avant tout saisonniers et leur saison est très courte. « Il fallait absolument qu'ils puissent rouvrir avant les vacances de Pâques, fin mars. Ils n'avaient que ça en tête. Redémarrer le plus vite possible ». Évoquant une écloserie d'huîtres, dont trois établissements ont été entièrement submergés, induisant une perte d'activité complète pendant au moins 6 mois, Dominique David avoue que, lors de sa première visite, il a été largement plus impressionné par l'état des lieux que le chef d'entreprise, « inquiet certes mais connaissant les procédures à suivre. En premier secours, je lui ai fait aussitôt débloquer un acompte conséquent afin qu'il puisse commander du matériel. Et pour le reste, il a pris les choses en main : libérer les accès des bâtiments ; réaménager les claires ; accomplir les travaux d'infrastructures ». Parlant d'une usine fabriquant des plateaux de table pour l'hôtellerie et la restauration dont le site de 18 000 m2 avait été inondé par 50 cm d'eau, Emmanuel Villette fait part d'une situation similaire : « Le nettoyage a immédiatement été pris en charge par les salariés de l'entreprise qui ont extrait les stocks des entrepôts pour pomper et nettoyer. Quand je suis intervenu, j'ai trouvé des bâtiments nettoyés superficiellement. Le chef d'entreprise était relativement confiant et notre intervention a fini de le rassurer sur la possibilité de parachever le nettoyage et de sauver le process industriel ». Cette volonté farouche de ne pas "se laisser noyer", s'est trouvée considérablement soutenue par les garanties dont disposaient la plupart des professionnels. « Dans les premiers instants, ce conchilyculteur, un parmi les 370 affectés dans la région, avait envisagé d'avoir tout perdu, indique Dominique David, mais il avait souscrit une assurance perte d'exploitation qui, comme on dit, est l'assurance-vie des entreprises ». De son côté, Olivier Huet souligne : « Par rapport à Vaison-la-Romaine où un très faible nombre de commerce était assuré en perte d'exploitation, dans la zone touchée par Xynthia, la quasi totalité l'était. Nous avons donc pu avoir les coudées plus franches pour les aider car leur volonté étant de redémarrer, nous avons pu engager des frais supplémentaires qui se sont révélés rentables. Nous étions des partenaires, nous marchions main dans la main.
Toujours agir
Malgré la bonne volonté et le grand dynamisme des assurés qu'Olivier Huet juge avoir été « formidables », la tâche n'a pas été des plus faciles pour les experts. Ainsi, les entreprises spécialisées se trouvant submergées par la demande, il n'était pas simple d'en trouver capables d'intervenir sur zone rapidement. Pourtant, bien souvent, l'urgence commandait. « Les outils de production de l'usine étaient touchés. Au premier constat, ce n'était pas dramatique mais, s'il n'y avait pas d'intervention immédiate, l'activité de l'entreprise aurait été paralysée sur une période beaucoup plus longue, et le coût du dommage aurait été aggravé, raconte Emmanuel Villette. J'ai lancé une intervention de décontamination par une entreprise spécialisée. Elle est arrivée tout de suite et n'a provoqué qu'un arrêt de 3 jours, avant que l'assuré puisse commencer à, progressivement, reprendre sa production. Aujourd'hui, à la mi-avril, après 2 500 heures de travail, la corrosion est définitivement stoppée avec une fin de chantier saluée par l'industriel. Les seules réserves concernent la durée de vie de certains borniers de connexion ». Tout aussi débordées, parfois elles-mêmes inondées, les entreprises générales ont également donné du fil à retordre aux experts. « Au début, les prix étaient très cohérents et les artisans prenaient tout ce qu'ils trouvaient mais, derrière, ils n'avaient pas toujours assez de main d'œuvre pour effectuer les travaux, rapporte Olivier Huet. Après quelques semaines, les prix ont commencé à grimper en flèche et les artisans ne se déplaçaient même plus pour faire les devis ». Puis, outre les réparations à effectuer, il fallait aussi remplacer quantité de matériels et d'équipements. Et là aussi, l'abondance de la demande posait problème. « Prenez par exemple les fours à pizza, mentionne Olivier Huet « Les fabricants en possèdent quelques unités en stock. Mais là, sur la côte, il y avait peut-être 50 ou 100 pizzerias sinistrées et autant de fours à remplacer ». Viennent enfin les stocks à reconstituer, toujours en nombre, avec en prime un problème particulier concernant les commerces d'habillement. « En juin, ce sont les soldes. Et on n'a pas le droit d'acheter du stock pour solder, précise Olivier Huet. Or, les soldes représentent bien souvent 30 à 40% du CA annuel. N'avoir rien à solder implique de grosses pertes ». Une donnée de plus à intégrer par l'expert dans la perte d'exploitation. Nettement moins concernées par les soldes et les pertes d'exploitation mais toutes entières astreintes à maintenir le service public, les collectivités locales ont, elles aussi, subi les conséquences de Xynthia, comme les autres. « Elles sont comme des petites entreprises, propriétaires de tous types de bâtiments : garages, ateliers, imprimeries, bureaux, bâtiments scolaires... Les plus importantes ont des sites de 20 000 m2. 600 personnes y travaillent, explique Luc Vandeputte. Le problème est la multiplicité des sites. Une seule collectivité peut en compter jusqu'à trente ou quarante. Ce nombre va à l'encontre du désir des assureurs d'avoir rapidement un retour d'information et une première estimation. De plus, nous avons été confrontés à une rupture de la chaîne d'information. Sans téléphone, les collectivités ne savaient pas exactement ce qu'il s'était passé dans chacune de leurs antennes ». Si, dans le commerce, l'industrie, l'ostréiculture et dans l'ensemble des activités, tout est mis en œuvre pour que les réparations nécessaires soient effectuées le plus rapidement possible, les collectivités locales, bien qu'animées du même désir, contraignent les experts à ronger leur frein. « Le problème est qu'elles sont soumises au marché public, rappelle Luc Vandeputte. Les mesures d'urgences et de sauvegarde peuvent être enclenchées directement, mais les réparations doivent passer par un appel d'offres qui, même s'il est allégé dans les cas d'urgence, ralentit énormément le dossier ».
Puis expliquer
Pour l'expert, faire avancer le dossier constitue une sorte d'obsession . L'une des clés pour y parvenir est la relation de confiance, la qualité de la collaboration nouée avec les assurés. Il faut écouter, bien sûr, mais aussi répondre aux questions et surtout expliquer. Expliquer le plus clairement possible à des sinistrés, forcément un peu perdus, ce que leur assureur va prendre en charge et la manière concrète dont cela va se passer. « Les ostréiculteurs que j'ai rencontrés attendaient d'abord des explications sur les mécanismes d'indemnisation. En fait, la profession ignorait qui allait payer quoi. Par exemple, les digues privées sont-elles du ressort de l'assureur, du fonds de calamité agricole, de subventions directes de l'État ? Nous sommes de ceux qui savons le mieux, parce que nous sommes en capacité de dire ce que leur contrat va indemniser dans le cadre de l'application de l'arrêté de catastrophe naturelle, fait observer Dominique David. Les experts apportent aux gens des réponses aux questions qu'ils se posent depuis le lendemain de la tempête et pour lesquelles, soit ils n'ont pas eu de réponse, soit ces réponses étaient contradictoires ». On comprend parfaitement que les particuliers, les artisans, les chefs d'entreprises, les pieds encore dans l'eau, aient besoin d'éclaircissements et d'explications. On demeure extrêmement étonné que les pouvoirs publics en nécessitaient tout autant. « Dans les commissions départementales, j'ai été surpris d'entendre que les grands commis de l'État prenaient pour argent comptant tout ce qu'ils lisaient dans les médias et qu'ils réagissaient comme des particuliers, dans leur perception des assureurs et des experts. À savoir : ils sont présents mais ne vont pas payer » témoigne Didier Bossard. Partant de là, « il a fallu passer pas mal de temps à expliquer », euphémise-t-il. Expliquer que l'expert est indépendant et qu’il allait déterminer une équitable valeur du dommage. Expliquer ce qu'était la franchise et pourquoi l'état de catastrophe naturelle obligeait les assureurs à appliquer cette franchise légale. Expliquer également que l'idée selon laquelle les maisons du littoral étaient techniquement détruites et que les assureurs allaient payer leur démolition puis leur reconstruction, sur des terrains qu'ils allaient acheter aux communes... était une pure vue de l'esprit puisque, selon les premières études techniques, ces maisons paraissaient dans leurs majeures parties réparables. Expliquer ensuite la réalité des choses : « Je leur ai donné des chiffres. 50 000 € pour réparer une maison en "zone de solidarité". Coût de la reconstruction : 100 à 150 000 €. Valeur vénale du bien : 250 à 300 000 €. Techniquement, les assureurs doivent 50 000 €. Vous voulez que les gens partent, très bien... mais qui va payer le différentiel ? » Et puis expliquer encore les conditions d'indemnisation du fonds Barnier que les autorités ne connaissaient au début qu'au travers de son fonds curatif, lequel fixe la limite du remboursement à l'amiable à 60 000 €... Depuis, les autorités ont fini par préciser que le fonds Barnier possédait aussi un volet préventif, non plafonné celui-ci. Bref, de quoi solutionner en partie le complexe problème de la "zone de solidarité".
Et enfin tirer les leçons
Alors que le débat autour de la "zone de solidarité" continue, il est déjà temps pour les experts de tirer les premières leçons de Xynthia. « Les assureurs demandent à ce que, face à une situation exceptionnelle, nous soyons en mesure de mettre en œuvre des moyens exceptionnels. Les groupements d'experts et sociétés d'expertise permettent d'être en capacité de mettre en place des cellules de crise en 24 heures. Nous avons su répondre aux attentes fortes des assureurs et assurés, estime Dominique David. Enrichis par les expériences précédentes, nous avons été plus efficaces dans la gestion des flux et le reporting ». Luc Vandeputte abonde : « Depuis de nombreuses années, les experts se mobilisent sur les sinistres climatiques et technologiques. Les Antilles, Nimes, Vaison-la-Romaine, AZF, Haumont, Klauss... Nous avions encore très peu d'expérience sur les inondations par l'eau salée. Cela demande des études sur la corrosion plus longues, plus poussées, plus techniques. Xynthia nous permet de nous documenter sur le sujet. Tous les dossiers servent à accumuler de l'expérience. On peut toujours progresser. Nous devons prendre le temps de nous poser, tant dans chaque société d'expertise, qu'au sein des instances professionnelles de la Compagnie des Experts et de la Fédération des Sociétés d'Expertise, pour tirer les leçons de Xynthia ». Un sentiment qui semble partagé par chacun. Par ailleurs, lors de ces évènements les experts sont de plus en plus proches des sinistrés. Ils sont à l'écoute. Ils apportent des solutions concrètes quand cela est possible. Ils cherchent avec les assureurs à soulager les sinistrés du fardeau de la catastrophe.
Désormais, depuis les évènements climatiques d’Haumont (Nord), le Gouvernement nomme un Médiateur (Inspecteur Général des Finances) qui, pour les évènements Xynthia, a organisé avec les Préfets des Régions plusieurs réunions de coordination.
Ont été par ailleurs rapidement activées, comme lors de chaque évènement de grande ampleur, les cellules de coordination régionales et départementales composées :
- des services préfectoraux,
- des Représentants locaux de la FFSA et du CDIA
- des représentants locaux de l’AGEA
- des Experts Correspondants locaux de la CEA.
Les Cellules de coordination FFSA/CDIA/AGEA/CEA, avec la participation du GEMA, ont été très impliquées dans les réunions organisées par le Médiateur du Gouvernement, réunions qui ont d’ailleurs été étendues aux Elus des Collectivités territoriales intéressées.
- FFSA : Fédération Française des Sociétés d’Assurances
- GEMA : Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurances
- CDIA : Centre de Documentation et d’information de l’Assurance
- AGEA : Fédération nationale des syndicats d’Agents Généraux d’assurances
- CEA : Compagnie des Experts Agréés
(Exergues)
« En 30 ans, je n'ai jamais vu un sinistre d'une telle ampleur. »
Richard de Swarte
« Xynthia a eu un impact politico-médiatique, sans aucune commune mesure avec tout ce que j'ai pu connaître. Au début, on a voulu faire passer les assureurs et les experts pour des méchants. Maintenant on reconnaît le service efficace qu'ils ont apporté, en toute indépendance et en travaillant beaucoup, aux sinistrés de Xynthia ».
Didier Bossard
« Dans une situation comme celle-ci, nous sommes porteurs de l'image des assureurs. »
Dominique David
« L'expertise indépendante a été sollicitée en toute première ligne par les assureurs pour répondre aux attentes du terrain. Nous y avons fait face avec organisation. Nous pouvons être satisfaits de notre implication. »
Emmanuel Villette
« Les experts sont toujours sous astreinte. Ils assument un véritable service public ou plutôt un service au public. C'est l'une des richesses de notre métier illustrée lors d'évènements de grande ampleur comme Xynthia»
Louis-Marie Boucraut
« Nous progressons événement après événement, en termes de réactivité, de logistique et d'organisation. »
Luc Vandeputte
« L'important est de mettre en place rapidement une structure avec un noyau dur afin de coordonner et de pouvoir aller chercher l'expérience dont on a précisément besoin, là où elle se trouve. »
Olivier Huet